Marie-Noëlle Thabut : une vie avec la Bible

Une interview par Céline Hoyeau dans La Croix du 22/12/18

Marie-Noëlle Thabut, bibliste
Léa Crespi/Pasco
Pionnière dans l’Église, vulgarisatrice hors pair, Marie-Noëlle Thabut a redonné le goût de la Bible à des générations de croyants.

L’a-t-on interrompue dans son travail, ou bien a-t-elle disposé cette pile d’ouvrages en grec, hébreu et français sur la table de la salle à manger dans l’idée que nous allions parler de la Bible ? D’entrée de jeu, on essaie de dissiper le malentendu : c’est bien d’elle qu’on vient parler, et non d’Écriture sainte. L’entreprise s’annonce délicate. « Je suis très pudique », coupe-t-elle, d’un ton aimable mais qui ne laisse guère place à la contestation. « Je ne me cherche pas dans la Bible. Je ne m’intéresse pas à ma petite personne, je cherche avidement à mieux comprendre le projet de Dieu et à y voir plus clair pour expliquer aux autres car j’y ai trouvé une joie fabuleuse. »

Pas question, pour autant, d’abandonner la partie. L’envie est trop grande de découvrir quelle femme se cache derrière la statue du commandeur à l’impeccable chignon argenté, filmée chaque semaine par KTO : à 78 ans, Marie-Noëlle Thabut est une icône pour des générations de catholiques à qui elle a redonné le goût de la Bible, à travers commentaires d’Évangile, groupes bibliques, conférences et voyages.

Mais soit. Partons de la Bible. Marie-Noëlle­ Thabut est bien plus à l’aise quand on lui parle de ces textes auxquels elle a consacré sa vie. Cette vulgarisatrice hors pair est en train de préparer les commentaires des lectures de mai prochain dans la revue Magnificat. Voici quinze jours qu’elle « laboure », « tricote », « patauge ». Elle si fluide dans ses émissions avoue « peiner à chaque fois ». « Cela semble couler de source précisément parce que c’est très travaillé », reconnaît la bibliste, qui s’emploie à ne pas se répéter depuis vingt ans. Comme chaque fois, elle a choisi le passage « sur lequel les chrétiens risquent de buter »« Cela ne peut s’écrire que dans la prière, souligne-t-elle. Le texte biblique est une prière à lui seul. Je n’ai pas besoin de fermer le livre pour me mettre à prier mais j’ai besoin de prier pour que l’Esprit Saint m’éclaire. »

Ce jour-là, elle se bat avec les élus de l’Apocalypse qui « ont lavé leur vêtement dans le sang de l’Agneau », naviguant entre l’Ancien et le Nouveau Testament, par association d’idées, selon le mode de pensée hébraïque dont elle s’est imprégnée au fil des ans. « Je ne cherche pas la difficulté, mais je me méfie des textes faciles. D’une part parce que l’on croit trop vite qu’on a compris, d’autre part parce que les textes difficiles recèlent des richesses fantastiques », constate celle qui s’est inspirée du laboureur de La Fontaine pour la devise de ses émissions : « Un trésor est caché dedans. »

Ce trésor, et la clé des Écritures, c’est le « dessein bienveillant de Dieu », ne cesse-t-elle de répéter de sa chaude voix de conteuse. « Ce Dieu si bon, si attentif à la souffrance humaine, pardonnant tout, qui se révèle peu à peu, malgré nos refus. » Avec un génie de la transmission proprement féminin, Marie-Noëlle Thabut puise dans son expérience de mère pour démonter les fausses images de Dieu, justicier, vengeur ou laxiste : « Nous qui sommes des parents tellement imparfaits, nous sommes incapables d’en vouloir durablement à un enfant ou de lui souhaiter du malheur. Jamais. Et Dieu sait s’ils ont pu nous faire pleurer parfois. Or Dieu n’est pas pire que moi… »

Quatrième de neuf frères et sœurs, d’une famille pratiquante, Marie-Noëlle Thabut n’a pourtant jamais lu la Bible, enfant. Le goût des Écritures est venu plus tard. En 1968, elle s’inscrit pour faire le caté, se voit confier les messes d’enfant, l’animation de la chorale, la liturgie de la paroisse. « C’est dans ce travail que je me suis aperçue du vrai manque du peuple chrétien, la Bible. C’est parce que la parole de Dieu n’est pas présentée comme une bonne nouvelle que l’eucharistie paraît compliquée. » Elle étudie alors à l’Institut catholique de Paris, en pleine période d’expérimentations post-conciliaires : « Avant de bousculer l’offertoire, je voudrais déjà savoir ce qu’il veut dire », répond-elle à une amie.

Mariée à Henri Thabut, ancien directeur financier d’Alcatel rencontré à Versailles, où ils ont passé toute leur vie, cette juriste de formation a « le luxe » de pouvoir se consacrer à la Bible et à l’éducation de ses trois enfants.

A-t-elle trouvé sa place, comme femme, dans l’Église ? Sa fille, Isabelle Kocher, première femme à la tête d’une entreprise du CAC 40, a assurément de qui tenir. Première femme nommée responsable de la liturgie dans son diocèse, puis, un an plus tard, en 1986, première à piloter la pastorale sacramentaire et liturgique pour toute la région parisienne, Marie-Noëlle Thabut se dit satisfaite de son parcours. « En vingt-cinq ans, nul ne m’a reprise sur un mot », relève celle qui commente chaque semaine la Bible sur Radio Notre-Dame et sur le site des évêques de France.

Étonnamment, elle n’a jamais siégé au conseil épiscopal. Elle n’a jamais aspiré à prendre la place des prêtres mais admet que c’est un peu « choquant ». Cette fille d’officier de marine a toujours refusé de « réclamer ». « La meilleure attitude pour un chrétien, c’est le service, tranche-t-elle. Les féministes dans l’Église m’insupportent, elles scient la branche sur laquelle elles sont assises. » Pourtant, elle a parfois été heurtée par telle attitude cléricale. Comme ce jour où elle est invitée au Vatican, pour la publication d’un texte sur les laïcs, en 1988 : « Je n’intéressais personne jusqu’au moment où j’ai dit que je faisais faire la prière du soir à mes enfants… C’était bien la peine d’aller à Rome pour ça ! »Peu encline à la « papolâtrie », elle a tracé sa route. « Je ne suis pas une révolutionnaire, mais je n’en pense pas moins dans mon for intérieur. » Sa reconnaissance, elle l’a trouvée auprès du grand public, plus qu’auprès de certaines institutions savantes qui l’ont boudée.

Soucieuse de « ne pas faire de mal », elle se refuse à juger quiconque. Et ne se dit guère plus ébranlée par la crise qui secoue l’Église. « Cela ne change rien à ma foi. J’ai mal quand on la critique, c’est ma mère », explique-t-elle, citant Jean Chrysostome : « Si ta mère avait mis son manteau à l’envers, tu ne l’humilierais pas devant tout le monde, tu l’emmènerais à l’écart et tu l’aiderais à remettre son manteau à l’endroit. »« Je voudrais l’aider. L’Église, c’est nous. Nous devons entourer davantage nos prêtres. En revanche, ils n’ont pas besoin qu’on les porte aux nues ! Plus nous, laïcs, aurons le courage de leur dire ce que nous pensons, mieux ils seront à leur place. »

Pionnière, cette pédagogue réputée souffre de n’avoir pas réussi à transmettre à tous ses enfants et petits-enfants son « bonheur de croire ». Une écharde dans sa chair. Au fil de la conversation, Marie-Noëlle Thabut se livre peu à peu. « N’évoquez pas tout cela dans votre article, précise-t-elle. Vous ne pourrez pas écrire grand-chose, mais on se sera bien amusées ! »

Comment dire, pourtant, avec délicatesse, la manière dont cette femme au caractère trempé, intransigeante sur ses convictions personnelles, vit aujourd’hui la fragilité de la vieillesse et de la maladie…

« Je n’ai pas de problème avec ma foi là-dedans, elle m’aide au contraire, confie-t-elle. Je chante en boucle la prière de Charles de Foucauld : “Mon père, je m’abandonne à Toi.” » Rien ne l’agace plus en revanche que l’idée d’« offrir ses souffrances ». « Prier pour garder la force de sourire, oui, mais Dieu ne veut pas nos souffrances, d’où sort-on cela ? », interroge l’auteure d’un très beau livre sur Job (1). « Son audace me plaît, on a le droit d’être impertinent avec Dieu, il n’attend pas que des cantiques pieux. Avec lui, je râle. Ce qui est important, c’est de lui parler tout le temps. J’ai la chance d’avoir des enfants. C’est lorsqu’ils ne me parlent plus que j’ai du chagrin. Qu’on ne se comprenne pas toujours, c’est bien normal, et moi, que je ne comprenne pas toujours Dieu, c’est bien normal. »

Ces dernières années, Marie-Noëlle Thabut a mis fin à la plupart de ses conférences, mais conserve encore l’écriture et les médias. Elle est à « l’âge des renoncements » : il faut « à tout prix s’y astreindre, laisser la place ». « Admettre que je n’ai pas le dernier mot sur tout. D’autres iront plus loin, feront mieux. »

bio express

1939. Naissance (née Chambert-Loir).

1962. Épouse Henri Thabut. Ils auront trois enfants et huit petits-enfants.

1968. Commence le caté à la paroisse Notre-Dame de Versailles.

1972-1985. Dirige la chorale de sa paroisse.

1975. Étudie la théologie à l’Institut catholique de Paris.

1985. Nommée à la commission diocésaine de pastorale sacramentelle et liturgique.

1986. Responsable de la pastorale liturgique de toute l’Île-de-France.

Avril 1994. Démarre des émissions bibliques sur Radio Notre-Dame, « En marche vers dimanche ».

2014. Se lance dans des émissions bibliques sur KTO.

2015. Cesse ses cours et interventions.

2017. Parution de La Bible des familles, où elle présente les textes bibliques lus dans la liturgie (Artège/Le Sénevé, 1470 p., 29,90 €).

Les coups de cœur de Marie-Noëlle Thabut

La flûte traversière

Mon mari et moi avions un point commun, la musique, ce qui m’avait été interdit dans mon enfance. J’ai commencé la flûte traversière au début de mon mariage. C’est le plus bel instrument du monde, le chant des anges. J’ai eu un professeur merveilleux, Fernand Caratgé, qui fut le maître de Jean-Pierre Rampal. J’en ai joué vingt-cinq ans avec passion, mais j’ai dû arrêter lorsque j’ai démarré mes émissions à la radio, car elles m’ont demandé un travail considérable au début. On ne peut avoir deux passions à la fois.

La sculpture

Il y a des sculptures partout chez moi, des bustes classiques, des anges de toutes sortes. L’un d’eux trône dans l’entrée, avec une trompette de la résurrection, il accueille les visiteurs. Je suis très sensible à la beauté, la contempler me remplit le cœur.

Les fossiles

J’ai un nautile, qui me fait penser à la résurrection. Penser que le Créateur a mis tellement de délicatesse dans ce qui n’est qu’un escargot de mer m’émerveille ! Le point commun entre ces trois coups de cœur, c’est qu’ils font penser à Dieu.